POPULATION DE MADAGASCAR : DES MALAGASY…« OUBLIĖS » DES « 18 FOKO » !
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POPULATION DE MADAGASCAR :
DES MALAGASY…« OUBLIĖS » DES « 18 FOKO » !
Les « 18 foko » reflètent-ils vraiment les réalités de la composition ethnique à Madagascar ou tout simplement une fiction pour ne pas dire un mythe ? En effet, il paraît que des Malagasy sont « oubliés » des « 18 foko . Le mot malgache foko renvoie originellement à une notion souple, caractérisant un groupe humain défini par une combinaison variable d’ascendance, de territoire, de culture, de liens de solidarité et d’histoire partagée. Le terme n’a jamais eu de définition normative ou fixe dans la tradition malgache.
À l’arrivée des colonisateurs français, foko fut systématiquement traduit par tribu, un mot chargé de connotations évolutionnistes — celui d’un groupe « primitif » au sens des ethnologues du XIXe siècle. Or la tribu, au sens européen du terme, suppose une organisation sociale stable, segmentée et isolée, ce qui ne correspond ni à la réalité historique de l’île, ni à la mobilité des populations malgaches.
La traduction la plus proche serait sans doute ethnie, au sens moderne : un ensemble humain partageant des traits culturels, linguistiques et historiques communs. Mais là encore, les frontières sont poreuses, et l’identité malgache s’est construite à travers des siècles de migrations internes, de métissages et de recompositions politiques.
Pendant des décennies, la formule « Madagascar, terre de 18 foko » s’est imposée comme une évidence. Elle figure dans les manuels scolaires, dans les discours officiels, dans les représentations populaires. Pourtant, derrière cette apparente simplicité se cache une construction historique complexe, largement façonnée par l’administration coloniale française. Le concept même de foko, souvent traduit à tort par tribu, soulève encore aujourd’hui des questions majeures : que recouvre réellement ce terme ? Les « 18 foko » traduisent-ils la diversité malgache ou en sont-ils une simplification arbitraire ? Et surtout, des groupes comme les Marofotsy, les Tanosimboahangy ou les Mikea ne mériteraient-ils pas une reconnaissance identitaire indépendante ?
Les Marofotsy
Les Marofotsy constituent une population installée principalement autour de Maevatanana, Tsaratanana et leurs environs. Longtemps, l’administration coloniale les a regroupés sous la catégorie générique de Sakalava. Pourtant, leur histoire révèle un métissage complexe impliquant trois grands ensembles :
- • Sakalava
- • Merina
- • Sihanaka
Les archives coloniales attestent de leur existence en tant que groupe social distinct. Gallieni rapporte même leur participation à l’insurrection de 1896 :
« …des lettres […] poussant à l’insurrection avaient été envoyées […] notamment dans le pays marofotsy, qui se souleva en masse. »
Si les Marofotsy étaient capables d’une action collective indépendante, c’est bien la preuve qu’ils possédaient une cohésion et une identité propres. Leur rattachement aux Sakalava n’a donc été qu’une simplification administrative — peut-être par commodité, peut-être par manque de connaissance fine du terrain.
- ➤ Ont-ils les critères d’un foko à part entière ?
- ➤ Territoire propre ? Oui.
- ➤ Histoire distincte ? Oui.
- ➤ Métissage fondateur ? Oui.
- ➤ Consistance sociologique ? Oui.
- ➤ Effectifs significatifs ? Probablement.
- ➤ Au regard de ces éléments, les Marofotsy présentent toutes les caractéristiques d’un foko, même si cela n’a jamais été officialisé.
Les Tanosimboahangy
Installés dans la région d’Andilamena, les Tanosimboahangy ont longtemps été assimilés aux Sihanaka. L’histoire locale nuance pourtant cette classification.
Andilamena : une zone historique stratégique
Sous Ranavalona Iᵉʳ, Andilamena devient l’une des grandes zones de pâturage du troupeau royal merina. Cette présence politique durable a favorisé les mélanges entre :
- ℹ️ Sihanaka
- ℹ️ Tsimihety
- ℹ️ Sakalava
- ℹ️ Merina
Ces métissages successifs ont donné naissance à un groupe spécifique : les Tanosimboahangy, porteurs d’une identité propre marquée par la mobilité, les alliances pastorales et une histoire différente de celle des Sihanaka « classiques ».
Ici encore, l’administration coloniale a choisi la voie la plus simple : les classer uniquement comme Sihanaka. Pourtant, leurs caractéristiques spécifiques — territoire, alliances, histoire, pratiques — les rapprocheraient davantage d’une sous-ethnie ou d’un foko émergent.
Les Mikea
Les Mikea constituent sans doute l’un des cas les plus fascinants. Vivant dans la célèbre forêt qui porte leur nom, au nord de Tuléar, ils ont été longtemps considérés comme un simple groupe marginal, tantôt rattaché aux Masikoro, tantôt aux Vezo, parfois même aux Sakalava.
Mais aucune de ces affiliations ne tient réellement :
- ℹ️ Ils ne sont pas Vezo, car ils ne vivent pas de la mer.
- ℹ️ Ils ne sont pas Masikoro, car ils mènent une vie semi-nomade tournée vers la chasse et la cueillette.
- ℹ️ Ils ne sont pas pleinement Sakalava, même s’ils entretiennent des liens anciens avec eux.
Selon Louis Molet :
« Les Mikea sont gens doux et paisibles, qui n’ont jamais été asservis par personne. […] Leur souci de sécurité les amena à se réfugier dans la forêt, vivant en petits groupes familiaux qui se déplacent sans cesse. »
Les Mikea ne sont donc pas une simple sous-catégorie d’un autre foko. Ils représentent un mode de vie ancestral, peut-être l’un des plus anciens de Madagascar, fondé sur la mobilité et l’adaptation à la forêt sèche. Leur absence de reconnaissance officielle reflète surtout la difficulté de l’administration à classer des populations nomades.
Les Mikea ne sont donc pas une simple sous-catégorie d’un autre foko. Ils représentent un mode de vie ancestral, peut-être l’un des plus anciens de Madagascar, fondé sur la mobilité et l’adaptation à la forêt sèche. Leur absence de reconnaissance officielle reflète surtout la difficulté de l’administration à classer des populations nomades.
Un foko basé sur un mode de vie plutôt que sur un territoire fixe ? Cela existe ailleurs dans le monde. Pourquoi pas à Madagascar ?
Politique des races
Pour comprendre pourquoi les Français ont fixé la liste de « 18 ethnies principales », il faut revenir à la logique coloniale de l’époque. Dès 1896, Gallieni et les administrateurs civils adoptent ce qu’ils appellent explicitement la politique des races. Il s’agissait, selon Hubert Deschamps, de « supprimer l’hégémonie merina », considérée comme un obstacle à la domination coloniale.
Gallieni lui-même écrit dans son rapport de 1896 :
« Il fallait, en un mot, appliquer la politique de races, qui avait déjà donné de si précieux résultats dans d'autres colonies… »
L’objectif était clair : diviser pour mieux régner.
La mise en place des « 18 foko » ne résulte donc pas d’une réalité anthropologique établie, mais d’un choix politique. Les Français voulaient casser l’unité politique merina développée au XIXe siècle en accentuant les fractures culturelles, économiques et territoriales. Ils ont donc fixé administrativement un nombre arbitraire d’ethnies, en sélectionnant des groupes préexistants, mais en ignorants d’autres, ou en les rattachant de force à des ensembles plus vastes.
Comment la colonisation a défini les « 18 foko » ?
Pour établir leur classification, les administrateurs français ont mobilisé plusieurs critères… mais jamais de manière cohérente. Parmi les principales notions utilisées :
- ℹ️ territoire d’occupation
- ℹ️ origine ou ancêtre fondateur (réel ou mythologique)
- ℹ️ histoire locale différente
- ℹ️ us et coutumes distincts
- ℹ️ effectif démographique suffisant
- ℹ️ structure sociale discernable
Cependant, aucun de ces critères n’a été appliqué systématiquement. Certains groupes extrêmement minoritaires ont été reconnus comme foko, alors que d’autres, bien plus nombreux, ne l’ont jamais été.
La liste officielle est donc une photographie imparfaite, issue d’un regard extérieur, étranger aux logiques internes des populations de Madagascar. Elle inclut notamment :
Merina, Betsileo, Sakalava, Betsimisaraka, Antakarana, Tsimihety, Antandroy, Bara, Antanosy, Antemoro, Mahafaly, Tanala, Bezanozano, Sihanaka, Antaifasy, Antambahoaka, Vezo, Antesaka (parfois séparés), Zafimaniry (parfois considérés comme sous-groupe), voire les Makoa dans certains recensements.
Mais cette classification laisse de côté des identités locales bien réelles : Marofotsy, Tanosimboahangy, Mikea, et d’autres encore.
Revoir ?
La question mérite d’être posée, car le chiffre « 18 » n’est pas neutre : c’est une invention, une cristallisation coloniale, loin d’être fidèle à la réalité dynamique des identités malgaches. Les recherches modernes en anthropologie montrent que la diversité interne de Madagascar est bien plus grande que cette liste administrative figée.
Certains groupes — Marofotsy, Tanosimboahangy, Mikea — ont été ignorés, réduits ou mal classés. D’autres sous-groupes mériteraient également une reconnaissance plus précise.
Revoir le nombre officiel ne serait pas seulement un exercice scientifique : ce serait une démarche de justice historique Comment réintégrer ces identités ?
Plusieurs pistes existent :
- 1. Ouvrir des travaux anthropologiques indépendants, loin de l’héritage colonial.
- 2. Reconnaître les identités locales selon les critères malgaches et non européens.
- 3. Permettre une auto-déclaration identitaire des groupes concernés.
- 4. Accepter qu’un pays puisse avoir 18, 20, 25 ou 30 foko, sans que cela menace l’unité nationale.
Le débat sur les « 18 foko » ne relève pas du folklore. Il touche à la construction de l’identité malgache contemporaine. En reconsidérant les classifications héritées de la colonisation, Madagascar a l’opportunité de renouer avec sa propre histoire, de reconnaître des identités oubliées et de proposer une vision plus juste de sa diversité.
Le foko n’est pas une catégorie figée. C’est un héritage vivant, en mouvement, qui évolue avec le temps et les groupes humains. À l’heure où les identités se redéfinissent dans de nombreux pays, Madagascar pourrait être pionnière dans la redécouverte de ses pluralités.
Peut-être est-il temps d’affirmer que l’île ne compte pas seulement « 18 foko », mais autant qu’il en existe réellement — visibles, invisibles, anciens, émergents.
Ami Ral